Comprendre l'identité de genre : entre biologie, société et développement
- Atypique World
- 25 juin
- 7 min de lecture

L'identité de genre désigne la conviction intime qu’une personne a d’être fille, garçon, les deux, ni l’un ni l’autre, ou ailleurs sur ce spectre. Contrairement au sexe assigné à la naissance, qui se base sur les organes génitaux visibles, l’identité de genre est un ressenti profondément personnel. Elle peut correspondre ou non au sexe d’assignation, et ne dit rien sur l’orientation sexuelle.
Mais alors, comment se construit cette identité ? Est-elle ancrée dans nos gènes, sculptée par notre cerveau, imposée par la société… ou un peu tout ça à la fois ? Les recherches récentes apportent une réponse plus nuancée qu’un simple "inné ou acquis", il s’agit d’un processus complexe, multifactoriel, qui commence dès les premiers instants de la vie – et peut évoluer au fil du temps.
L’identité de genre ne se résume pas à une case
Pendant longtemps, les sociétés ont fonctionné sur une vision binaire du genre : homme ou femme, sans nuances. Cette manière de penser a été renforcée par la médecine et la science, qui ont longtemps cherché à faire coïncider sexe biologique, identité de genre et orientation sexuelle dans une seule et même logique "naturelle" – souvent hétérosexuelle et procréative.
Mais aujourd’hui, ce modèle est remis en question. Les identités de genre sont bien plus variées que ce cadre rigide ne le laissait penser. Et surtout, elles ne sont ni des anomalies ni des pathologies. C’est cette diversité, longtemps ignorée ou stigmatisée, que les sciences humaines et médicales tentent désormais de mieux comprendre.
Un modèle intégratif : gènes, cerveau, environnement et relations
Les recherches récentes montrent que l’identité de genre ne dépend pas d’un seul élément, mais se construit à partir de plusieurs types de facteurs qui interagissent entre eux :
Les facteurs biologiques
Contrairement à ce qu’on a pu espérer ou croire à une époque, les scientifiques n’ont jamais trouvé un « gène du genre », une sorte de déclencheur unique qui déterminerait si une personne se sent homme, femme, ou autre. Ce serait trop simple… et la réalité est bien plus subtile.
Aujourd’hui, les recherches en génétique montrent que l’identité de genre serait plutôt un trait complexe, influencé par une combinaison de nombreux gènes, chacun jouant un petit rôle. C’est ce qu’on appelle un modèle polygénique : plusieurs centaines, voire des milliers de gènes interagiraient entre eux, mais aussi avec l’environnement, pour participer au développement de notre identité de genre.
Autrement dit, il ne s’agit pas d’un « programme tout prêt » inscrit dans l’ADN, mais d’une prédisposition globale, façonnée au fil du temps par d'autres éléments biologiques, sociaux, émotionnels… Cette complexité explique pourquoi deux personnes ayant un profil biologique proche peuvent ressentir des choses très différentes par rapport à leur genre.
Et surtout, cela remet en cause les visions binaires rigides : l’identité de genre ne se découpe pas en deux catégories, mais se distribue sur un spectre large et continu. On peut être plus ou moins proche d’un pôle (masculin, féminin), ou totalement ailleurs sur cette échelle. Cette diversité est naturelle. Elle ne vient ni d’un dysfonctionnement, ni d’un choix, ni d’un facteur unique, mais d’une alchimie biologique et humaine riche et variée.
Les facteurs hormonaux et cérébraux
Des recherches en neurosciences ont observé des différences dans certaines zones du cerveau entre des personnes cisgenres (dont l’identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance) et des personnes transgenres. Par exemple, chez des personnes transgenres ayant commencé une hormonothérapie, certaines structures cérébrales semblent évoluer pour ressembler davantage à celles du genre avec lequel elles s’identifient. C’est notamment le cas de la densité de matière grise, de l’épaisseur corticale, ou encore de certaines régions impliquées dans la perception de soi ou les émotions.
Mais attention : ces différences sont très subtiles, et surtout, elles varient énormément d’une personne à l’autre. Ce ne sont pas des "empreintes du genre" gravées dans le cerveau. Ce qu’on observe, c’est que le cerveau est plastique, c’est-à-dire qu’il change en fonction de notre vécu, de nos émotions, de nos choix, de notre environnement… y compris en réponse aux hormones.
Ce que ces études suggèrent, c’est que le cerveau et le genre sont en interaction. Le cerveau ne détermine pas tout, mais il peut refléter des transformations liées au genre ressenti ou exprimé, à travers l'expérience vécue, le traitement hormonal, ou encore les effets du stress lié au rejet ou à l'affirmation de soi.
En résumé, on ne peut pas dire que l’identité de genre est "dans le cerveau", comme s’il suffisait d’un IRM pour savoir si quelqu’un est homme, femme ou non binaire. Ce serait une erreur scientifique, et une impasse éthique. Le cerveau reflète des tendances, mais il ne donne pas une vérité absolue. L’identité de genre est bien plus qu’une image cérébrale : c’est une construction intime, en mouvement, qui dépasse largement la biologie seule.
Les facteurs sociaux et cognitifs
société ne traite pas tout le monde de la même manière selon qu’on est perçu comme fille ou garçon. Même sans qu’on leur dise quoi que ce soit, ils comprennent qu’il y a des règles implicites.
Dès l’âge de deux ans, un enfant commence à repérer les différences entre ce qui est considéré comme féminin ou masculin. Il se base sur ce qu’il voit autour de lui : les vêtements, les jouets, les coiffures, les rôles que jouent les adultes. Il apprend ainsi à se situer lui-même dans ce système. Puis, entre trois et sept ans, il intègre l’idée que le genre reste le même dans le temps, même si l’apparence change. Ce processus s’appelle la constance de genre.
Mais à travers ce qu’il apprend, l’enfant ne reçoit pas seulement des informations sur ce qu’il est. Il découvre surtout ce que les autres attendent de lui. Il comprend très tôt que certains comportements sont valorisés et d’autres mal vus, en fonction de l’image qu’on a de son genre. On lui fait passer des messages du type « un garçon ne pleure pas » ou « une fille doit être sage », souvent sans en avoir conscience.
Tout cela façonne profondément la construction de l’identité. L’enfant va intégrer, rejeter, s’adapter ou résister à ce qu’il perçoit comme des règles sociales. Ces apprentissages influencent non seulement la manière dont il se définit, mais aussi ce qu’il va s’autoriser à ressentir ou à exprimer. Et quand le rôle qu’on lui impose ne correspond pas à son ressenti profond, cela peut créer un malaise, voire une véritable souffrance.
L’environnement social participe activement à la formation de l’identité de genre. C’est pourquoi offrir aux enfants des modèles variés, leur permettre de jouer librement, de s’habiller comme ils veulent, de s’exprimer sans contrainte, peut faire toute la différence. Cela leur donne la liberté de devenir eux-mêmes, sans avoir à se conformer à des attentes rigides.
Les facteurs affectifs et relationnels
L’attitude des parents, de la famille et plus largement de l’entourage a une influence directe sur la manière dont un enfant construit sa propre identité. Souvent, cette influence s’exerce sans que les adultes en soient pleinement conscients. Il suffit d’observer comment on parle, comment on touche, comment on regarde un bébé selon qu’il est perçu comme un garçon ou une fille. On ne le cajole pas de la même manière, on ne lui propose pas les mêmes jeux, on ne commente pas ses réactions avec les mêmes mots.
Un bébé désigné comme garçon est souvent décrit comme tonique, costaud, aventurier, même s’il ne fait rien de particulier. Une petite fille, de son côté, sera qualifiée de douce, mignonne, calme, parfois même avant qu’elle n’ait émis un son. Ces projections d’adultes, ces attentes implicites, influencent très tôt la façon dont l’enfant est stimulé, encouragé ou freiné dans ses élans.
Avec le temps, ces petites différences répétées au quotidien deviennent des repères pour l’enfant. Il comprend ce qu’on attend de lui, ce qui est valorisé ou non dans son comportement. Il apprend à répondre à ces attentes, à se conformer à ce qu’on suppose de lui en fonction de son genre supposé. Et c’est là que commence la construction du genre, non pas comme une vérité intérieure qui se révèle d’un coup, mais comme un processus complexe, nourri en permanence par les interactions avec le monde extérieur.
Ce que l’enfant perçoit de lui-même est donc en partie le reflet de ce que les autres projettent sur lui. Il ne s’agit pas de dire que les parents sont responsables ou coupables, mais de comprendre que l’environnement social et affectif façonne, parfois très tôt, le sentiment d’être fille, garçon, ni l’un ni l’autre, ou un peu des deux.
Ce que nous apprend la clinique : intersexuation et autisme
Deux situations cliniques éclairent particulièrement bien la complexité du genre.
les variations du développement sexuel (VDS, ou intersexuation) et les troubles du spectre de l’autisme
Chez les personnes intersexes, les organes génitaux ou les chromosomes ne correspondent pas aux catégories binaires classiques. Ces situations ont longtemps été "normalisées" chirurgicalement dès l’enfance. Pourtant, les trajectoires identitaires de ces personnes montrent qu’il est impossible de prédire comment un enfant se sentira à l’adolescence ou à l’âge adulte. Le taux de dysphorie de genre est plus élevé dans ces populations, mais varie selon les cas.
Les personnes autistes, quant à elles, présentent statistiquement une plus grande diversité d’expressions et d’identités de genre. Elles se disent plus souvent non binaires ou trans. Cela pourrait s’expliquer par une perception différente des normes sociales, des attentes genrées ou encore par un rapport particulier à l’affiliation aux groupes genrés.
Vers une approche plus respectueuse de la diversité
Le principal enseignement de l’ensemble de ces travaux est clair. L’identité de genre n’est pas le fruit d’un seul facteur. Il n’y a pas de gène unique, de cerveau "typique" ou d’environnement décisif. C’est une construction évolutive, personnelle, façonnée par l’interaction entre notre biologie, notre vécu, notre entourage et notre contexte culturel.
Cela implique, en pratique médicale comme en société, de sortir des cases toutes faites et de considérer chaque personne dans sa singularité. Que l’on soit cis, trans, non binaire ou en questionnement, il ne s’agit pas de "corriger" un écart à la norme, mais de reconnaître et d’accompagner la diversité humaine.
En conclusion
L’identité de genre est un phénomène dynamique et plurifactoriel. Il n’existe pas une seule trajectoire normale. Les sciences, loin de trancher le débat entre nature et culture, nous invitent à une vision plus nuancée, plus humble, et surtout plus humaine.
Le genre n’est pas une vérité biologique gravée dans le corps. C’est une histoire intime, traversée par le regard des autres, par les normes sociales et par notre besoin profond d’être reconnus pour ce que nous sommes.
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