TSA et identité de genre
- Noelle
- 22 juin
- 4 min de lecture
Quand j’étais enfant, puis ado, j’avais un ressenti très clair : je ne voulais pas être une fille.
Pas une fille comme on le voit dans les pubs. Pas une petite poupée avec une robe qui tourne. Moi, j’étais bien dans ma cabane, avec des cailloux, des pulls trop grands et les Lego de mon frère. J’aimais qu’on me laisse tranquille.

Les poupées me mettaient mal à l’aise. Le rose, je trouvais ça moche. Ma mère, pensant bien faire, m’achetait du bleu. C’était juste un autre cliché, mais inversé. Et plus tard, le maquillage… j’avais l’impression qu’on me collait une étiquette. "T’es une fille, alors tu dois faire ça." Non. J’ai jamais été à l’aise avec cette phrase-là.
On m’a appelée “garçon manqué”. Mais manqué de quoi ? J’étais juste moi. Ni fille, ni garçon. Juste un mini humain. Ou comme dirait Werber dans son livre génial "Nos amis les humains", un humaniot.
À l’âge adulte, ça n’a pas changé. J’ai mis du maquillage, mais c’était pas vraiment moi qui le mettais. C’était mes copines. Parce qu’on ne sort pas "comme ça". Les escarpins et les tailleurs pour aller bosser ? Le cauchemar. Je me sentais déguisée.
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Et puis un jour, j’ai posté une photo sur Facebook : une femme qui levait les bras, avec ses poils bien visibles sous les aisselles avec pour légende "Toutes à poils ! ". Depuis, j’ai arrêté de m’imposer tous ces rituels absurdes. Les poils repoussent, ça gratte. Le maquillage, je le sens sur ma peau toute la journée, et ça me file des boutons. Les escarpins, poubelle. Baskets adoptées, et je me sens mieux.
Il m’a fallu 40 ans pour envoyer balader tous ces clichés, ces trucs qu’on attendait de moi parce que j’étais une femme.
Je me suis longtemps crue bizarre...
Et puis j’ai eu une petite-fille. Elle aussi TSA, et chez elle, c’est encore plus évident. Cheveux courts, passion pour les dinos, vêtements confortables, zéro intérêt pour les robes ou les jeux dits “de filles”. Elle est comme ça et c’est naturel pour elle. Elle comprend même pas pourquoi on devrait aimer le rose ou porter des jupes juste parce qu’on est une fille.
Ma nièce aussi est autiste et a le même fonctionnement.
Là, j’ai compris que ce n’était pas juste moi, pas un hasard et surtout, que ce n'était pas un problème. C’est fréquent chez les filles autistes. Pas parce qu’on rejette la féminité, mais parce qu’on fonctionne autrement.
Pourquoi c’est fréquent chez nous ?
On s’en fout des attentes sociales. Les codes genrés, les sous-entendus, les règles implicites, on les capte pas, ou on s’en fout. Même quand on les comprend, on voit pas l’intérêt d’y obéir.
On est hypersensibles. Les collants grattent, les robes collent, les tissus brillants piquent les yeux. Ce n’est pas une histoire de style, c’est une question de survie sensorielle.
On suit nos intérêts. Les modes, ça nous parle pas. Ce qui nous intéresse, c’est les dinos, les planètes, les insectes… (oui j'y vais un peu fort en clichés, c'est fait exprès 😉) Pas les trucs à la mode, pas les tendances TikTok.
On joue pas un rôle. Le genre, c’est flou. C’est pas une identité à construire, c’est juste… quelque chose qu’on subit si on n’y fait pas gaffe. On fait comme on peut, pas comme on doit.
Ce n’est ni une phase, ni un trouble
Mais une forme de liberté. On ne rejette pas ce que l’on est, on refuse juste de se déguiser pour correspondre à une image.
Ce que j’aurais aimé entendre, petite, c’est :
Tu n’es pas bizarre.
Tu n’as pas à ressembler à ce qu’on attend d’une fille.
Tes passions comptent autant que celles des autres.
Aujourd’hui, je regarde ma petite-fille. Ce qu’elle vit, je l’ai vécu. Ce que je croyais isolé est en fait commun mais personne n’en parle.
Les filles autistes ne sont pas perdues, elles sont hors cadre parce qu’elles ne savent pas jouer un rôle.
Et si on les écoutait au lieu d’essayer de les faire rentrer dans un moule qui gratte ?
Face à cette question existentielle surgie un dimanche matin, tasse de café à la main, j’ai décidé de chercher si des études pouvaient éclairer ce que je ressens depuis toujours, ce que ma petite-fille vit aujourd’hui, et ce que ma nièce traverse elle aussi — et j’ai découvert que oui, la recherche en parle, et elle en parle même clairement.
👉 Une étude de 2016 (Strang et al.) montre que les jeunes autistes sont 7 fois plus nombreux à ne pas se reconnaître dans les rôles genrés classiques.
👉 Une étude de 2020 (Warrier et al.) sur plus de 600 000 personnes confirme qu’on retrouve souvent des identités non-binaires, des genres fluides, ou un rejet complet des normes genrées chez les personnes TSA.👉 Les chercheurs expliquent aussi que les filles TSA imitent moins les jeux genrés (poupées, mise en scène maternelle, etc.).
Ce n’est pas rare, ce n’est pas marginal et c’est documenté. Mais en France, on n’en parle pas...
📚 Références à consulter :
Strang et al. (2016) → https://doi.org/10.1007/s10508-014-0285-3
Warrier et al. (2020) → https://doi.org/10.1038/s41467-020-17794-1
Van Der Miesen et al. (2016) → https://doi.org/10.3109/09540261.2015.1111199
Janssen et al. (2016) → https://doi.org/10.1089/trgh.2015.0007
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