Confondre wokisme avec carnaval
- Atypique World
- il y a 4 jours
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Je suis en plein dans ma période "identité de genre". C’est un sujet que je creuse à fond en ce moment, parce qu’il touche à tellement d’aspects à la fois personnels, sociaux, médicaux, politiques… et qu’on en entend tout et n’importe quoi. Après avoir publié l’article « TSA et identité de genre » le 22 juin, puis « Comprendre l’identité de genre : entre biologie, société et développement » le 25 juin, je poursuis cette série avec un troisième volet qui s’attaque à un mot qu’on entend partout : le wokisme.

On l’invoque pour tout, on l’accuse de tous les maux, et bien sûr, l’identité de genre est régulièrement embarquée dans ce gloubi-boulga "merdiatique".
"Le wokisme", est devenu un mot fourre-tout qu’on utilise à toutes les sauces, souvent pour disqualifier ou caricaturer des combats sociaux légitimes. Et quand on dit que "c’est du n’importe quoi", il faut être capable d’expliquer de quoi on parle vraiment, et en quoi certaines dérives posent problème, sans pour autant tout jeter en bloc.
D’abord, c’est quoi « wokisme » à la base ?
Le mot "woke" vient de l’anglais, et ça veut dire "éveillé". À l’origine, c’est un terme utilisé dans la communauté afro-américaine pour désigner quelqu’un qui est conscient des injustices sociales, notamment le racisme. C’était une façon de dire : "Je ne suis pas dupe, je vois ce qui se passe."
Avec le temps, le mot a été élargi à d’autres formes d’inégalités : sexisme, homophobie, transphobie, validisme, colonialisme, etc. Bref, être "woke", c’était être attentif aux oppressions, et chercher à les remettre en question. Jusque-là, c’est plutôt une posture de vigilance, d’engagement social, voire de lucidité.
Mais ensuite, le terme a été récupéré et moqué, notamment par des médias conservateurs, puis par des responsables politiques, pour désigner ce qu’ils considèrent comme les excès de la gauche identitaire, ou des mouvements progressistes.
Ce qu’on critique souvent sous le nom de "wokisme", ce ne sont pas les valeurs de justice ou d’égalité en soi. Ce sont les dérives ou les comportements radicaux qui peuvent parfois en découler. Voici quelques exemples de critiques fréquemment formulées :
L’hyper-sensibilité et la censure : certains estiment que dans une volonté de ne froisser personne, on en arrive à censurer des œuvres, des mots, des auteurs, voire à interdire des débats. On parle alors de "cancel culture".
La victimisation à outrance : d’autres reprochent à certains mouvements de construire une société où tout le monde se définit d’abord par son statut de victime, et où tout devient oppressif, même la maladresse ou l’ignorance.
Le moralisme : certains dénoncent un ton donneur de leçons, où si tu ne penses pas "comme il faut", tu es considéré comme un oppresseur, un rétrograde, ou pire, un ennemi.
La fragmentation sociale : on accuse aussi le wokisme de créer des divisions, en mettant l’accent sur les identités (genre, couleur de peau, orientation sexuelle…) plutôt que sur ce qui rassemble.
Mais attention : tout ce qu’on appelle « wokisme » n’est pas absurde
Il ne faut pas confondre des dérives réelles (et parfois bien reloues) avec des combats essentiels. Défendre les droits des personnes racisées, des personnes trans, des personnes en situation de handicap, remettre en question les normes sexistes ou racistes… ce n’est pas "du n’importe quoi". C’est nécessaire. Et souvent, les gens qui hurlent contre "le wokisme" sont surtout dérangés par le fait que leurs privilèges soient remis en cause.
Le problème, ce n’est pas le fond (égalité, inclusion, respect), c’est parfois la forme : des postures dogmatiques, rigides, intolérantes à la contradiction, ou coupées du réel.
Le "wokisme", en tant que concept, n’existe pas vraiment. C’est un mot flou, qui mélange tout et sert à attaquer tout ce qui sort des normes. Il est souvent utilisé comme une insulte politique pour évacuer des sujets sérieux. Mais certaines critiques adressées à des attitudes radicales ou fermées sont valables, notamment quand elles empêchent la discussion ou qu’elles deviennent contre-productives.
Donc non, défendre les droits humains, ce n’est pas du n’importe quoi.
Mais oui, on peut critiquer les excès militants, les dogmatismes ou les injonctions contradictoires, sans être réac pour autant.
Mais... c'est pas se sentir chat ? ou licorne ?
"Mais alors, si on accepte que quelqu’un ne s’identifie pas au genre de naissance… c’est quoi la suite ? Se prendre pour une licorne ? Un chat ? Une forêt tropicale ?"
Spoiler : non.
C’est une caricature, un raccourci moqueur souvent utilisé pour discréditer les identités de genre non conformes, notamment les personnes trans ou non-binaires. C’est un peu comme dire : "Si on laisse les femmes voter, demain les chiens vont demander le droit d’aller à l’école." C’est absurde… mais ce genre d’argument a déjà existé. Et on voit bien aujourd’hui à quel point il ne tient pas debout.
L’identité de genre, c’est humain
Quand on parle de genre, on parle d’un ressenti intérieur d’appartenance à un genre donné (homme, femme, les deux, aucun, autre), en lien avec notre corps, notre vécu, notre cerveau, notre société. C’est un phénomène humain, étudié, documenté, traversé par des dimensions biologiques, sociales, psychologiques.
Se sentir homme, femme, ou ni l’un ni l’autre, ce n’est pas "imaginer qu’on est autre chose". Ce n’est pas un délire ou un jeu. C’est un vécu identitaire profond. Et ce vécu a des conséquences concrètes sur la vie, le bien-être, la santé mentale, l’intégration sociale, etc.
Une licorne, c’est pas un genre
Se dire "non-binaire", "agenre", ou même "genre fluide", ce n’est pas se prendre pour une créature magique. Ce sont des manières de décrire son rapport au genre, quand on ne se reconnaît pas dans les cases "homme" ou "femme" telles que la société les définit.
Se prendre pour une licorne ou un chat, c’est autre chose. Ça relève soit de la blague, soit d’un fantasme, soit d’un autre champ psychologique (comme les personnes qui s’identifient à des animaux, ce qu’on appelle "autotherians" ou "furries", mais c’est un phénomène distinct).
Et encore une fois, même dans ces cas-là, il faut faire la différence entre jouer avec une image et construire une identité humaine vécue.
Rire, oui. Mépriser, non.
On peut plaisanter sur tout, y compris sur les identités. Mais il y a une frontière entre l’humour qui détend et la moquerie qui écrase. Comparer une personne trans ou non-binaire à quelqu’un qui se prend pour un animal ou un objet, c’est nier sa réalité, sa souffrance éventuelle, son parcours, ses choix.
Et surtout, ça déshumanise. C’est comme dire "il ou elle est fou/folle" pour ne pas avoir à réfléchir, à écouter, à remettre en question ce qu’on croyait acquis.
Alors non, les personnes trans, non-binaires ou en questionnement de genre ne se prennent pas pour des chats. Elles ne demandent pas qu’on les appelle "Sa Majesté Galaxia la Licorne Rose" (sauf peut-être pour Halloween, et c’est pas ton problème). Elles demandent juste qu’on reconnaisse leur vécu et qu’on les respecte comme n’importe qui.
C’est pas si compliqué. Et ça ne menace personne.
Aujourd’hui, on mélange tout. On parle de « wokisme » pour désigner n’importe quelle revendication jugée « trop bizarre », « trop extrême » ou « trop différente », et les réseaux sociaux (notamment Insta, TikTok, YouTube) n’aident pas du tout à y voir clair.
Des cas comme "la litière au travail" ou "l’enfant-chat à l’école" : intox ou faits réels ?
La plupart de ces histoires qui circulent — la fille qui miaule en classe, la femme qui exige une litière au boulot, les "gens qui s’identifient comme trans-espèces" — viennent des États-Unis, relayées par des comptes très politisés, souvent à droite ou à l’extrême droite, qui veulent faire croire que le monde "woke" est devenu fou.Et dans 95 % des cas, ce sont des rumeurs, des anecdotes déformées, ou carrément des hoax.
L’histoire de l’élève qui se prend pour un chat et miaule en classe ? → Plusieurs écoles aux États-Unis ont démenti officiellement après que la rumeur ait été lancée sur TikTok ou Fox News.
La femme avec une litière au bureau ? → Jamais aucune plainte, aucun témoignage vérifié, aucune trace légale. Aucune preuve.
Les "identités vampires" ou "elfiques" ? → Certaines personnes jouent avec ça sur les réseaux (dans des contextes liés aux subcultures, cosplay, ou fantasy), mais ça n’a rien à voir avec les luttes trans, non-binaires ou féministes. C’est souvent du second degré, ou des performances artistiques, ou des personnes très marginales qui ne représentent qu’elles-mêmes.
Ce genre de contenu fait réagir. Il choque, il fait rire jaune, il énerve. Et sur les réseaux, c’est l’émotion qui fait tourner l’algorithme.Ces anecdotes sont parfaites pour donner l’impression que le monde "woke" est absurde, qu’il n’y a plus de limites, et que tout est permis.
Mais ce sont des cas extrêmes, souvent isolés, voire inventés de toutes pièces. Le problème, c’est que les gens finissent par croire que c’est la norme, ou que c’est ce que veulent "les militants wokistes", alors que pas du tout.
Est-ce qu’il existe des gens qui s’identifient à des animaux ?
Oui, ça existe (on ne va pas faire semblant). Ce sont des personnes qui s’appellent "otherkin" ou "therians", souvent issues de communautés en ligne marginales.Mais ce n’est ni lié à l’identité de genre, ni représentatif des luttes LGBTQIA+, ni revendiqué dans l’espace public de façon sérieuse.
C’est un phénomène à part, minoritaire, et souvent moqué aussi par les personnes trans ou non-binaires, qui n’ont rien à voir avec ça.
Cela créé autant de confusion parce qu’au lieu de faire la différence entre :
Une personne transgenre (dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe assigné à la naissance)
Une personne neurodivergente (parfois avec des comportements atypiques)
Une personne avec des délires ou des troubles psy
Un ado sur TikTok qui joue un rôle pour faire des vues
Une subculture marginale
… on met tout dans le même sac et on appelle ça "le wokisme". Et là, oui, forcément, ça devient un truc grotesque.
Donc, en résumé ?
Non, le wokisme, ce n’est pas miauler en cours ou réclamer une litière au boulot.
Ce sont des cas exagérés, montés en épingle pour décrédibiliser les vraies luttes : celles contre le racisme, le sexisme, la transphobie, le validisme, etc.
Oui, il y a parfois des dérives militantes ou des attitudes extrêmes, comme dans tous les mouvements sociaux. Mais les cas absurdes qu’on te montre sur Insta ou Twitter, ce sont des épouvantails, des caricatures créées pour faire peur ou ridiculiser.
Le wokisme est un mot-valise
Comme expliqué en début d'article, la base, le terme "woke" signifie être éveillé aux injustices sociales. Ça englobe donc tout un tas de luttes :
le racisme
le sexisme
les violences policières
les discriminations LGBTQIA+ (dont l’identité de genre fait partie)
le validisme
le colonialisme
l’exploitation des minorités
l’écologie politique (parfois)
Mais depuis quelques années, le mot "wokisme" est devenu une insulte. Il sert à disqualifier tout discours progressiste, même modéré, en le résumant à une caricature : une sorte d’idéologie extrême qui verrait des oppressions partout, imposerait la censure, et refuserait toute nuance.
L’identité de genre, c’est un sujet précis, pas une idéologie
L’identité de genre, c’est une réalité humaine. Ça concerne le ressenti qu’on a d’être homme, femme, les deux, aucun des deux, etc. C’est étudié en psychologie, en sociologie, en neurobiologie, en anthropologie. Et c’est indépendant du militantisme "woke" au sens péjoratif du terme.
Mais comme le sujet touche à des normes sociales, à la visibilité des minorités, à la remise en question du modèle binaire, il devient une cible facile.Du coup, dans certains discours politiques ou médiatiques, on dit que "l’idéologie woke veut abolir les sexes", "effacer les hommes et les femmes", "imposer un langage neutre", etc.
C’est faux, mais efficace pour manipuler l’opinion.
En résumé
Le wokisme, dans sa version caricaturée, est une étiquette utilisée pour désigner (et souvent discréditer) toutes les luttes progressistes.
L’identité de genre est un sujet parmi d’autres dans ce champ, mais ce n’est pas du wokisme en soi. C’est un domaine de réflexion, d’expérience humaine, de recherche, et de droits.
Tu peux très bien défendre la reconnaissance des identités trans sans te réclamer du "wokisme", et tu peux aussi t’opposer à certaines formes de militantisme radical sans être contre les personnes trans, non-binaires ou queer. Tout dépend de comment on pense, comment on en parle, et si on fait la part des choses.
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