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Super pouvoir N°2 - La mémoire spatiale

Je ne sais pas lire une carte sur papier sans tourner la tête dans tous les sens, mais dans ma tête, j’ai une map parfaite. Dès que je fais un trajet, à pieds ou en voiture, c’est comme si mon cerveau prenait de la hauteur et dessinait le chemin vu d’en haut. Pas juste les rues, mais tout ce qu’il y a autour : les arbres, les façades, les odeurs, les sons et la couleur du ciel. Il suffit que je le fasse une fois, et c’est enregistré. Comme si une caméra intérieure avait tout filmé en 3D et que je pouvais rejouer la scène à volonté.


La mémoire spatiale

Quand je repense à un endroit, je ne me souviens pas seulement du lieu, je le revois littéralement, sous tous les angles. Je peux mentalement le parcourir, tourner, visualiser les distances (même si je ne sais pas les évaluer), anticiper les croisements. En revanche, si quelqu’un me fait passer par un autre chemin, même à quelques mètres de là, tout mon système se dérègle. C’est comme si on déplaçait une pièce dans un puzzle finit, il faut tout reconstruire depuis le début.


Les chercheurs appellent ça la mémoire topographique. C’est une forme de mémoire spatiale qui permet de se représenter les lieux mentalement comme une carte. La plupart des gens construisent une mémoire dite “égocentrique”, c’est-à-dire qu’ils se souviennent des trajets à partir de leur propre position “je tourne à droite, je vais tout droit, je prends la troisième à gauche”. Moi, c’est différent. Mon cerveau enregistre tout en allocentrique, comme si je regardais la scène d’en haut, un peu à la manière d’un drone.


Des études en neuropsychologie, notamment celles de Maguire et des prix Nobel Edvard et May-Britt Moser, ont montré que cette capacité dépend de réseaux neuronaux spécifiques situés dans l’hippocampe, le cortex rétrosplénial et le cortex parahippocampique. Ce sont ces zones qui hébergent les fameuses “grid cells”, ou cellules de grille, qui cartographient mentalement l’espace en créant une sorte de repérage géométrique interne.Chez certaines personnes autistes, ces circuits sont particulièrement actifs et précis. Résultat : nous pouvons nous orienter avec une aisance presque instinctive, à condition que le monde autour de nous reste cohérent.


Le GPS intérieur des cerveaux autistiques


Cette mémoire spatiale a souvent été décrite comme une force cognitive. On la retrouve dans de nombreux témoignages, beaucoup de personnes autistes se repèrent extrêmement bien dans des lieux connus, se souviennent du moindre détail visuel ou sonore, et peuvent reconstituer un trajet avec une exactitude impressionnante. Le cerveau encode les distances, les angles, les points de repère visuels, les textures, les sons. C’est comme une cartographie multisensorielle.


Mais ce système repose sur une logique stable. Il ne tolère pas bien les changements. Quand une rue est barrée, quand un trajet habituel est modifié, il faut tout recalculer. Et ce recalcul, pour un cerveau autistique, n’est pas intuitif. Il demande une reconstruction complète du modèle spatial interne. C’est pour ça que si je prends une autre route, j’ai l’impression de me perdre. Mon cerveau n’a pas de raccourci. Il veut tout revoir, tout reclassifier, tout enregistrer de nouveau. C'est la raison aussi pour laquelle, quand on part en déplacement je prévois toujours le facteur "Je me perds" 😅.


Des chercheurs comme Pellicano et Burr (2012) ont proposé une explication fascinante à cela, le cerveau autistique fonctionnerait avec des modèles perceptifs rigides. Là où le cerveau neurotypique prédit et ajuste en continu, le cerveau autistique préfère s’appuyer sur des données exactes et concrètes. C’est une forme de fidélité au réel. Rien n’est supposé, tout est vécu, vu, senti, vérifié.


Cette mémoire spatiale, c’est un confort immense. Elle donne un sentiment de sécurité, parce que tout est à sa place, tout est connu, tout est repérable. Mais elle peut aussi devenir une source de stress dès que le décor change. Ce n’est pas de la rigidité au sens psychologique, c’est de la rigidité du modèle interne. Le cerveau autistique reconstruit le monde à partir de repères concrets, et quand ces repères bougent, c’est toute la structure qui vacille.


Pour moi, ça s’exprime comme une perte momentanée de cohérence. Si tu me fais passer par une autre rue, ce n’est pas juste “un détour”, c’est une réalité parallèle. Je dois la visualiser, l’intégrer, la tester, la valider. Ensuite seulement, elle entre dans ma carte. Et à partir de là, je la connais aussi parfaitement que l’autre. De même si tu me fais passer par un trajet que je n'est pas, moi, décidé, je me perds, même dans mon propre quartier 😅.


C’est un apprentissage total, pas une adaptation rapide. Et quand j’ai reconstitué cette nouvelle carte, elle reste gravée à vie.


Une autre manière d’habiter l’espace


Cette manière de naviguer dans le monde révèle quelque chose de plus profond sur la perception autistique, nous ne voyons pas les lieux comme des décors, mais comme des systèmes cohérents. Chaque espace a sa logique, ses axes, sa géométrie, ses rythmes. On ne se contente pas de le traverser, on l’intègre. Cela explique pourquoi beaucoup de personnes autistes se sentent attachées à certains endroits, à certaines configurations familières, à certaines trajectoires précises. C’est une mémoire incarnée, une géographie intime.


Et c’est peut-être pour ça que je me repère souvent mieux que je ne s’exprime. Parce qu’avant même de parler, j'avais déjà cartographié le monde 😊.



La mémoire spatiale autistique, c’est un GPS intérieur d’une précision redoutable, mais aussi d’une grande fragilité. Elle enregistre le monde avec fidélité, elle permet de se repérer, de créer des repères solides, d’apprendre vite. Mais elle demande que le monde reste un minimum stable pour ne pas avoir à tout recommencer.


C’est un mode de navigation différent. Là où d’autres suivent les panneaux, moi je vois la carte entière.

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