Super pouvoir N°5 - Le fil du temps (quoi t'est-ce ?)
- Atypique World

- il y a 5 jours
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Capacité à reconstituer des chronologies précises et à sentir la continuité des événements
Pour beaucoup de gens, le passé est un grand sac de souvenirs où tout se mélange. Pour d’autres, comme Clara, c’est une ligne bien dessinée. Elle peut se rappeler quand un événement a eu lieu, pas juste approximativement, mais presque à la journée près. Elle ne mémorise pas des dates comme on retient des numéros, elle ressent leur place dans le temps. Le passé, pour elle, n’est pas flou. Il a une structure.
Chez certaines personnes autistes ou TDAH, le cerveau organise les souvenirs comme une chronologie vivante. Chaque souvenir est rangé avec des repères sensoriels, émotionnels et contextuels qui lui donnent une position précise. Ce n’est pas seulement de la mémoire, c’est une perception du temps différente, à la fois linéaire et sensible.

Une boussole temporelle interne
Le chercheur Dermot Bowler, spécialiste de la mémoire autobiographique dans l’autisme, a montré que certaines personnes autistes possèdent une capacité exceptionnelle à replacer les événements dans leur contexte temporel. Leur cerveau ne stocke pas les souvenirs isolément, mais sous forme de séquences continues. Ce qui s’est passé “avant” ou “après” garde du sens.
Clara peut raconter la suite exacte des choses. Si on lui demande quand elle a déménagé, elle ne sort pas une date, elle se souvient du film qu’elle regardait ce jour-là, du bruit des cartons, du goût du café qu’elle buvait. Ce sont ces repères sensoriels et émotionnels qui servent de points d’ancrage. Le temps devient une texture, pas une abstraction.
Chez les personnes TDAH, c’est parfois l’inverse : la perception du temps se dilate ou se contracte. Le cerveau vit dans l’immédiateté, ce qui rend la chronologie floue. Pourtant, beaucoup de profils TDAH développent une compensation mnésique. Ils reconstruisent la continuité grâce aux émotions. Ils se souviennent d’une période parce qu’elle “sent” comme une autre. Ce n’est pas une horloge, c’est un fil émotionnel.
Le temps sensoriel
Les neurosciences parlent souvent du temps subjectif : celui qu’on ressent à travers le corps. Chez les personnes autistes, ce temps interne est plus marqué. Le cerveau perçoit les transitions et les durées avec précision. Il enregistre la lumière d’une saison, la température d’un jour, la position du soleil, le rythme des sons. Ces repères sensoriels permettent de reconstruire la continuité des expériences.
C’est pour cela que certaines personnes se repèrent dans le passé avec une aisance surprenante. Elles peuvent dire : “C’était l’année où il faisait très chaud en avril” ou “c’était juste avant que le voisin change sa voiture”. Le cerveau relie les émotions et les perceptions au déroulement du temps, créant une mémoire chronologique fine.
Quand le temps ne s’arrête pas
Ce sens aigu du temps a aussi un revers. Le cerveau autistique peine parfois à “laisser passer” les événements. Les souvenirs restent proches, accessibles, presque présents. Ce qui devrait appartenir au passé continue de vivre dans la tête. Le temps mental ne s’écoule pas à la même vitesse que le temps réel.
Clara explique souvent qu’elle ne ressent pas la distance entre deux périodes de sa vie. Pour elle, tout coexiste. Elle peut se souvenir d’une scène d’enfance comme d’un moment de la veille. Ce n’est pas de la nostalgie, c’est une forme de continuité temporelle interne. Le cerveau garde les événements connectés entre eux, comme s’ils appartenaient à la même ligne active.
Le chercheur Anthony Goddard a décrit ce phénomène comme une “persistance temporelle de l’expérience”. Le cerveau autistique maintient les traces de ce qu’il a vécu, sans effacement progressif. Cela donne une perception du monde très stable, mais aussi parfois un sentiment d’épuisement mental.
Une mémoire utile et exigeante
Cette mémoire chronologique rend beaucoup de personnes autistes particulièrement fiables dans les domaines où la précision temporelle est importante : la recherche, la logistique, les métiers de la documentation ou de l’analyse. Elles détectent les incohérences de séquence, les oublis, les erreurs d’ordre.
Mais ce superpouvoir demande de l’énergie. Reconstituer constamment la continuité du temps, c’est maintenir une carte immense du passé dans la tête. C’est utile pour comprendre, mais fatigant pour oublier.
Le fil invisible
Le fil du temps, pour Clara, n’est pas une métaphore. C’est une sensation réelle. Elle sent la continuité des choses comme d’autres sentent la musique ou la météo. Le temps n’est pas une donnée abstraite, c’est un tissu de souvenirs, de sons, d’images et de ressentis reliés entre eux.
Ce fonctionnement n’a rien d’étrange. Il illustre simplement un cerveau qui observe le monde à travers la cohérence. Là où d’autres voient des instants séparés, il perçoit une histoire.







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